Les parts ou les actions d’une société peuvent faire l’objet d’un démembrement.
Cette opération juridique est souvent mise en œuvre dans le cadre de la préparation d’une transmission ou d’une succession.
LE DÉMEMBREMENT
L’INTÉRÊT FISCAL DU DÉMEMBREMENT
UNE DÉLICATE QUESTION JURIDIQUE
LE DROIT AUX BÉNÉFICES
LE DROIT AUX RÉSERVES
1 - Le démembrement
L’opération va consister à séparer juridiquement la nue-propriété de l’usufruit.
A cet égard il convient de rappeler que le droit de propriété qui s’exerce sur les biens, mobiliers ou immobiliers, se décompose en deux éléments distincts que sont « l’usufruit » et la “nue-propriété”.
Cette partition résulte d’une situation définie par la loi ou par convention.
Elle va disparaitre par suite de la réunion de la nue-propriété et de l’usufruit dans le patrimoine d’une même personne.
La nue-propriété est le droit donnant à son titulaire, appelé nu-propriétaire, la faculté de disposer d’une chose mobilière ou immobilière (en la vendant, la donnant, la léguant...)
Alors que l’usufruit ne permet que de disposer du droit d’en avoir l’usage.
Il s’agit d’une technique très utilisée qui permet de préparer sa succession tout en assurant à l’usufruitier de conserver la jouissance du bien.
Dans la pratique le propriétaire d’actions ou de parts d’une société va donner la nue-propriété à ses héritiers et conserver l’usufruit des titres ce qui lui permettra de maintenir ses revenus par la perception des dividendes qui seront mis en paiement.
2 - L’intérêt fiscal du démembrement
C’est à l’occasion du décès de l’usufruitier que le nu-propriétaire va devenir l’unique propriétaire du bien sans avoir de droits de succession à payer.
En effet l’article 1133 du CGI stipule que « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ».
Il s’agit d’une disposition fiscale particulièrement attractive dans la mesure où les droits acquittés au moment de la transmission ont été calculés sur une base imposable qui prend en compte l’âge du donateur. Cet âge revêt une importance capitale dans la mesure où il va déterminer la valeur de la nue-propriété qui va être transmise.
A cet effet l’article 669 du code général des impôts a établi un barème qui fixe les valeurs à retenir en cas de démembrement.
« Pour la liquidation des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière, la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit est déterminée par une quotité de la valeur de la propriété entière, conformément au barème ci-après » :
AGE DE L'USUFRUITIER | VALEUR DE L’USUFRUIT | VALEUR DE LA NUE-PROPRIÉTÉ |
---|---|---|
Moins de 21 ans | 90% | 10% |
De 21 à 30 ans | 80% | 20% |
De 21 à 30 ans | 70% | 30% |
De 41 à 50 ans | 60% | 40% |
De 51 à 60 ans | 50% | 50% |
De 61 à 70 ans | 40% | 60% |
De 71 à 80 ans | 30% | 70% |
De 81 à 90 ans | 20% | 80% |
Plus de 90 ans | 10% | 90% |
L’examen du tableau permet de constater que plus on donne rapidement la nue-propriété moins elle a de la valeur. A contrario plus on tarde à la donner et plus elle aura de la valeur.
A titre d’exemple des actions qui en pleine propriété valent 100 et transmises avant 61 ans auront une valeur imposable de 50.
Les mêmes actions transmises à 85 ans auront une valeur imposable de 80.
L’intérêt fiscal du démembrement apparaît comme particulièrement significatif mais il n’est pas sans générer des problèmes juridiques qu’il convient de bien appréhender.
Une délicate question juridique
Qui, du nu-propriétaire ou de l’usufruitier, a la qualité d’associé ?
Il s’agit d’une question complexe qui a divisé la doctrine mais aussi la jurisprudence.
La réponse à cette interrogation juridique entraîne une conséquence capitale sur les principaux événements qui ponctuent la vie d’une société.
En effet l’enjeu de la question est important dans la mesure où certains droits et obligations déterminés par le droit des sociétés sont exclusivement attachés à la qualité d’associé. Il en va ainsi du droit de vote, du droit à bénéfice, du droit aux réserves.
Leur attribution entre l’usufruitier et le nu-propriétaire suppose que soit préalablement réglée la question de la qualité d’associé.
Un arrêt très récent de la 3e chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l’usufruitier de parts sociales ne peut pas se voir reconnaître la qualité d’associé. (Cass. 3e civ. 16-2-2022 no
20-15.164)
Pour autant, l’arrêt dispose que l’usufruitier n’est pas privé de tous ses droits et qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.
Le droit aux bénéfices
La Cour de cassation a précisé la nature juridique du dividende qui doit être considéré comme des fruits civils qui s’acquièrent au jour le jour et appartiennent de ce fait à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit.
Dans ces conditions les dividendes prélevés sur le résultat de l’exercice reviennent exclusivement à l’usufruitier, seul bénéficiaire des revenus des parts ou actions sur lesquelles porte son usufruit.
Ainsi, c’est la décision de distribution des bénéfices par l’assemblée générale de la société qui donne naissance aux dividendes et donc naissance à la créance de dividendes.
Le droit aux réserves
La doctrine et la jurisprudence s’accordent pour considérer que les réserves n’appartiennent pas aux associés mais sont la propriété de la société.
Elles sont comprises dans la situation nette de la société et font partie des capitaux propres qu’elles contribuent à valoriser. Aussi ni l’usufruitier ni le nu-propriétaire n’ont vocation à les appréhender tant qu’elles ne sont pas mises en distribution.
Dans la pratique, le problème va se poser au moment de la décision de mise en paiement des réserves et à ce titre les praticiens sont confrontés à deux décisions divergentes de la Cour de cassation :
La première décision reconnaît à l’usufruitier des parts ou actions un droit de quasi-usufruit s’exerçant sur les sommes provenant de ces distributions (article 587 du Code civil). Dans ce cadre c’est l’usufruitier qui percevra les sommes distribuées et pourra en disposer librement, à charge à lui de les restituer aux nu-propriétaire à la fin de l’usufruit, ou à son décès.
La deuxième décision a posé pour principe que c’est le nu-propriétaire qui a droit aux distributions de réserves, dans la mesure où les bénéfices mis en réserve ont perdu leur nature de fruits et constituent un accroissement de l’actif social, revenant normalement au nu-propriétaire.
En conclusion :
Face à cette divergence et à cette insécurité juridique qui peut être source de contentieux, il est important d’aménager les statuts ou prévoir des conventions destinées à régler le sort des distributions de réserves revenant aux parts démembrées.
A cet effet il conviendra de prendre l’attache d’un praticien avisé qui pourra recommander différentes solutions destinées à éviter tout risque juridique.
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